Monday, February 07, 2005

Géologie - Le dérochoir

Le Dérochoir est l'enchevê-.trement de rocs qui s'étend dans sa plus grande partie derrière les chalets d'Avérés d'en Haut et des Ayères des Rocs, jusqu'au Lac Gris. En fait, ce sont tous ces rochers posés seuls ou en groupes sur ce versant de la montagne, en amont de Barmus et des Mollays, éboulis en forme de cône qui descend du sommet de la falaise de la Pointe du Dérochoir aux environs du Marteau, jusqu'en Ayères et Plaine-Joux. Etymologiquement, Dérochoir vient du verbe "déro¬cher" qui signifie décaper et par extension tomber d'un rocher. Le Dérochoir, c'est le lieu de l'affais¬sement de cette partie de la chaî¬ne des Fiz qui eut lieu il y a main¬tenant 2 siècles et demi en 1751. La roche des Fiz, tout au moins dans cette portion, est une pierre "pourrie", fissurée, plus ou moins friable. A cet endroit, la chaîne comportait alors une crête proéminente appelée "La roche des Lacs". (Rapport du notaire Mabboux)

En son sommet, trois lacs, apparemment sans déversoir externe, dont les eaux disparaissent donc dans le sol... Sans doute longuement minée par ces eaux, et à la suite d'une période de pluie, le 31 juillet 1751, vers deux heures de l'après-midi, la falaise s'est effondrée en un gigantesque fracas, basculant d'un coup de la pointe actuelle du Dérochoir jusqu'aux environs du Marteau. Cette cou¬lée de roches s'arrêtera pour une grande part au Nord du promontoire dit Le Tour, obstacle qu'elle ne peut franchir. Le reste échap¬pant à cette retenue naturelle roule en direction des Mollays et des Ayères ravageant tout sur son passage, détruisant les pâturages, emportant des chalets, écrasant les sapins, comblant deci, delà, transformant complètement la configuration du terrain de toute cette zone. (globalement stabilisée en forme de cône) Il y eut quelques victimes : 6 personnes, 30 vaches et un mulet d'après le rapport rédigé le 5 août 1751 par le notaire Joseph Mabboux.

Il faut savoir qu'en ce milieu du XVIIIe siècle, la région du Mont-Blanc n'était pas française. Elle faisait partie du Royaume Sarde dont la capitale était Turin. Le souverain était Charles-Emmanuel III, duc de Savoie et roi de Sardaigne. La Savoie venait d'être occupée pendant six ans de 1742 à 1748 par les Espagnols et c'était seulement depuis la victoire de l'Assiette en 1747 par l'armée austrosarde et la paix d'Aix-la-Chapelle en 1748 que la Savoie avait été res¬tituée au Royaume de Savoie-Piémont-Sardaigne. D'autre part, notre région était encore bien sauvage et inconnue, région de forêts et de pâturages, vouée à une agricul¬ture de montagne et à une vie quotidienne difficile et austère. On commençait à la découvrir et depuis 1741, les Anglais Wind-ham et Pococke et le Genevois Saussure faisaient connaître dans les milieux intéressés la vallée de Chamouny.

C'est ainsi qu'Horace-Béné-dict de Saussure raconte l'éboulement du Dérochoir « avec un fracas si épouvantable et une poussière si épaisse et si obscure que bien des gens crurent que c'était la fin du monde. Cette poussière noire passa pour de la fumée. Les gens préoccupés par la crainte virent des flammes au milieu de ces tourbillons de fumée ». Avouez que cette chute de millions de mètres cubes de roches a dû faire penser à l'Apocalypse : ciel obscurci, nuit en plein jour, nuages de poussière, persistance de bruits indéfinis, de craquements, de claquements, odeur de soufre. Atmosphère de peur et d'épouvanté.

On écrivit dans la gazette de Turin qu'un volcan terrible avait éclaté dans les montagnes et le roi dépêcha sur place le naturaliste Donati qui écrivit dans son rapport : « Après avoir marché quatre jours et deux nuits sans m'arrêter, je me suis trouvé en face d'une montagne toute envi¬ronnée de fumée, de laquelle se détachaient continuellement de grandes masses de pierres avec un bruit parfaitement semblable à celui du tonnerre ou d'une grande batterie de canons mais beaucoup plus fort encore. Les paysans s'étaient tous retirés du voisinage. Toutes les campagnes étaient couvertes d'une poussière très ressemblante à de la cendre et en quelques endroits cette poussière avait été transportée à la distance de cinq lieux » (environ 20 km). Donati évalua la masse de l'éboulement à plus de trois millions de toises cubes de rochers (environ 6 milliards de m3).

Pour en savoir davantage, consulter Revues VatusiumN°1 (1998)
en cours de réédition, par l'Association Culture, Histoire et Patrimoine Vatusium ?6 (2003) et les ouvrages de Michel Delamette. Bergers et moutons dans la clairière, au lieu-dit "la Jarguet". Le glacis du «Dérochoir» montre la rupture de la crête et la stabilisation des matériaux en amont du Tour. (Photo René Chesneau)

0 Comments:

Post a Comment

<< Home